Les Enfants du Bon Dieu by Antoine Blondin

Les Enfants du Bon Dieu by Antoine Blondin

Auteur:Antoine Blondin [Blondin, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
ISBN: 9780785917625
Éditeur: French & European Pubns
Publié: 1973-09-30T22:00:00+00:00


L’argent que je devais remettre au prince me tracassa dans les deux jours qui suivirent, puis ce tracas tourna à l’angoisse. Je ne pouvais demander conseil à Sophie. Elle n’eût pas toléré que je me fusse laissé entraîner à de nouvelles somptuosités au-dessus de nos moyens. Telle était ma crainte de voir Albertina repartir avec le prince que je me mis à chercher ce second métier, que mon beau-père m’adjurait de prendre depuis longtemps pour occuper les loisirs inconsidérés dont je disposais entre mes heures de cours. Je finis par trouver une place de grouillot dans une revue de beauté intitulée : Votre poitrine. Elle était rédigée par des polytechniciens et des agrégés de l’Université, dont j’étais chargé de ramasser la copie. Après une matinée euphorique, où je sillonnai Paris à bicyclette, on me refusa l’avance de salaire que je sollicitais et je dus chercher ailleurs. Le prince s’en allait le surlendemain. J’avais songé à taper Savarin pour détruire du même coup le légende de mon opulence, mais nous avions eu, peu de temps auparavant, une altercation vive à propos de Jean-Jacques Rousseau. Il s’était étonné de ce que mes élèves, qui étaient aussi les siens pour la morale et le civisme, ignorassent le mouvement des idées au XVIIIe siècle : « À les entendre, on dirait que la Liberté, l’Égalité, la Fraternité, sont des denrées diverses et que l’enseigne s’en est épanouie sur certains bâtiments comme Beurre-Œufs-Fromages au fronton des crémeries. Enfin, par quels chemins comptez-vous les conduire à l’apothéose des droits de l’homme, sinon par les avenues sublimes de l’Encyclopédie ? » J’aurais pu lui répondre que cela ne le regardait pas, que chacun était libre de faire la Révolution comme il l’entendait et qu’au demeurant, je n’envisageais pas la nécessité d’un bouleversement dans la France de 1780. Depuis la fin de la guerre de Cent un Ans, jamais le pays n’avait connu une ère de prospérité aussi considérable. Et sans doute n’en connaîtrait-il jamais plus. Le royaume s’étendait de Gibraltar aux Carpates, le roi distribuait des électorals et des grands-duchés comme des Légions d’honneur, les Kirghiz lisaient Fénelon en sanglotant. C’est à peine si, d’une année sur l’autre, un conquérant mongol, ou hongrois, ou japonais, doué d’une puissance mystérieuse et d’une cruauté raffinée, rompait l’engourdissement où s’endormaient les armes. On lui dépêchait d’urgence un superbe héros occidental, à mine de superman en jabot, dont les exploits faisaient rêver les enfants et pâmer les mères. L’Histoire se réduisait alors aux aventures de Tarzan contre Fu-Man-Chu ; le reste du temps, nous le passions à jouer nos colonies au poker avec les Anglais et on se serait cru dans un roman de Somerset Maugham. À l’intérieur, Louis XV, qui contrairement à son grand-père, avait des ministres de quatre-vingt-dix ans et des maîtresses de dix-huit, venait d’instituer la retraite des vieux travailleurs pour les premiers, l’aide aux mères et les allocations familiales pour les secondes. Que demandait le peuple ? Savarin s’impatientait visiblement. Je lui avais répondu à dessein : « Par quel chemin ? Par « l’économique », bien sûr, « l’économique » seul.



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